DEVELOPPEMENT DURABLE
Mûr pour la
croissance verte ?
DU 10 AU 16
OCTOBRE 2010 – LE PLUS (24 pages sur le GABON)
Théophile
KOUAMOUO
Présent dans
toutes ses politiques sectorielles, l'environnement est l'un des principaux
piliers de la nouvelle stratégie économique du pays. Et le cheval de bataille
préféré du chef de l'Etat sur la scène Internationale.
photo JA :
le bassin du Congo, un sanctuaire forestier à n'exploiter qu'avec parcimonie.
Dans le
Gabon d'Ali Bongo Ondimba, on ne badine pas avec l'environnement. Le président
veille personnellement à ce que ses problématiques soient intégrées dans toutes
les politiques sectorielles de développement: de la préservation du patrimoine
naturel - dont 22 millions d'hectares de forêts... - aux chantiers
d'aménagement, en passant par les projets agricoles et industriels, la
formation, le tourisme, les créneaux d'investissement... Tout doit être vert et
être pensé vert. L'engagement d'Ali en faveur de la planète ne relève pas d'une
soudaine illumination écolo. II s'inscrit dans la continuité d'un choix
stratégique fait il y a une dizaine d'années par Omar Bongo Ondimba.
Tout a
commencé par la rencontre, en 2002, entre ce dernier et le biologiste américain
Mike Fay, de la Wildlife Conservation Society, qui le convainc que les nouveaux
enjeux de protection de la nature peuvent à la fois conférer au pays un nouveau
poids géopolitique et constituer une source de revenus plus durable que
l'exploitation des ressources minières et pétrolières. Quelques mois plus tard,
lors du sommet de la Terre de Johannesburg, les Etats-Unis lancent le
partenariat pour le bassin du fleuve Congo. Omar Bongo Ondimba en profite pour
annoncer qu'il « sanctuarise » 11 % de la superficie du Gabon en créant treize
parcs nationaux, et demande un retour financier pour ce « sacerdoce » en faveur
de l'équilibre de la planète.
Aujourd'hui,
le projet d'Ali lui fait écho. « L'économie verte s'annonce, en effet, comme un
des vecteurs de l'économie mondiale du XXIème siècle, et notre pays dispose des
atouts pour en devenir un grand acteur, explique celui-ci. Pour cela, nous
devons préserver notre forêt et nous assurer que sa contribution à la lutte
mondiale centre le changement climatique est rémunérée à sa juste valeur. »
Au-delà de ses interventions lors des rencontres internationales, le président
multiplie les initiatives pour poser, au niveau national, les jalons d'un Gabon
durable. Et vert.
L'interdiction
d'exporter le bois en grumes (voir pp. 86-87), outre son impact sur la valeur
ajoutée pour l'économie, participe à une volonté de gérer de manière plus
raisonnée les espaces et ressources forestières du pays. II s'agit aussi
d'identifier et d'évincer les possesseurs de « petits permis », à la lisière de
l'informel, et certains, notamment asiatiques, qui exploitent près de la moitié
de la forêt gabonaise de manière contestée. Pour le moment, Marc Ona
Essangui, le président de l'ONG gabonaise Brainforest, avoue n'être pas
convaincu: « On a l'impression qu'il s'agit d'effets d'annonce sans grand
rapport avec la réalité. Dans les faits, on n'a jamais coupé autant de bois au
Gabon que ces derniers mois. »
De son côté,
le gouvernement persévère. Le 23 septembre, le ministre des Eaux et Forêts,
Martin Mabala, et le chef de la délégation de l'Union européenne à Libreville,
Thierry Mathisse, ont signé une déclaration commune pour la lutte contre
l'exploitation et le commerce illicites de bois. « Ce qui est en jeu, c'est la
maîtrise de la chaîne de traçabilité de nos diverses essences forestières,
explique Martin Mabala. C'est pourquoi cette initiative représente un outil essentiel
pour notre pays, et l'ensemble des Etats d'Afrique centrale. »
HARO SUR LE
PLASTIQUE
Autre mesure
qui a pris effet, le 1er juillet: l'interdiction d'importer et de
commercialiser des sacs plastique non recyclables et non biodégradables, dont
la désagréable particularité est de polluer les sols et les nappes phréatiques
pendant plus d'un siècle... Là encore, les spécialistes de la société civile
reconnaissent les efforts et le bien-fondé de cette mesure, mais regrettent le
manque de mesures d'accompagnement, de sensibilisation et, surtout, de
concertation dans sa mise en œuvre. « Le ministère de l'Environnement a choisi
de retenir la norme "oxD biodégradable", qui désigne les sachets
plastique "oxo-biodégradables" parfois utilisés par les fabricants,
or ces derniers ne sont pas biodégradables. En effet, ce sont des sacs normaux
auxquels on ajoute un additif qui accélère la fragmentation - mais l’agent
fragmentant contient des substances chimiques toxiques... Nous aurions préféré
que soient imposés par le ministère de l’Environnement des sachets
biodégradables et compostables, avec des composants issus de l'agriculture
biologique. Une telle décision aurait eu le mérite de respecter la décision
prise par le président Ali Bongo Ondimba lors de son déplacement à Port-Gentil,
le 3 mars dernier », déplore Henri Michel Auguste, président de l'ONG H2O Gabon.
« C'est le
sens de la lettre ouverte que nous avons adressée au président du Gabon le 23
août dernier, explique-t-il, sur laquelle nous attendons toujours à ce jour des
explications. »
Au-delà de
ces débats d'experts, le Gabonais moyen jugera les nouveaux choix
gouvernementaux sur leur impact réel dans la vie quotidienne, comme la
réalisation d'infrastructures d'assainissement ou l'amélioration de la collecte
des déchets. Les critères d'efficacité économique seront aussi pris en compte.
Pour l'instant, les emplois « verts » sont très peu répandus, et le Gabon n'a
pas encore réussi à développer une politique touristique fonctionnelle fondée
sur la mise en valeur de son patrimoine naturel. Enfin, complexe et encore
embryonnaire, le marché des crédits carbone ne finance pas encore assez de
projets de préservation de la nature au pays de l'okoumé.
« On
n'a jamais coupé autant de bois que ces derniers mois.»
Marc Ona
Essangui, président de
Brainforest
DE COPENHAGUE A CANCUN
Cependant,
les jalons sont bel et bien posés. Après la conférence de l'ONU sur le climat
qui s'est tenue à Copenhague en décembre 2009 et à laquelle il assistait, Ali
Bongo Ondimba a lancé, le 26 mai, un Conseil climat pour la formulation d'un
plan stratégique de lutte contre le réchauffement climatique. Juste avant son
départ pour Oslo, où il a participé à la Conférence Internationale sur la déforestation
et le climat.
L'Etat
gabonais et l'Agence spatiale européenne (ESA) ont par ailleurs crée, en
février, l'Agence gabonaise d'études et d'observation spatiales, dont la
mission sera de surveiller, par satellite, l'évolution d'un cercle de plus de
2800 km de diamètre de forêts pluviales. Une station d'étude et d'observation
spatiales - pour laquelle 9 millions d'euros ont été débloqués - doit être
installée d'ici à décembre 2011 à Owendo, cité portuaire de Libreville, en
coopération avec la France et le Brésil.
Du 12 au 19
septembre, le Gabon a accueilli la première conférence panafricaine de haut
niveau sur la biodiversité, qui a réuni ministres chargés de l'Environnement et
experts de la Banque africaine de développement (BAD) et des Nations unies sur le
thème: « Biodiversité et lutte contre la pauvreté: quelles opportunités pour
l'Afrique ? » L'occasion pour le chef de l'Etat gabonais de fédérer les
responsables politiques et experts du continent à quelques semaines du prochain
sommet des Nations unies sur le réchauffement climatique, qui se tiendra à
Cancun (Mexique) du 29 novembre au 10 décembre. Le pays, qui vient d'être
classé au 9e rang africain du rapport 2010 de l'indice de performance
environnementale, représenté par son chef d'Etat, compte bien y défendre sa
stratégie de développement durable centrée sur la question forestière et en
être le porte-parole régional. •
MINES:
AREVA, ERAMET ET LES ERREURS DU PASSE
COMMENT
CONCILIER exploitation industrielle des matières premières et préservation des
équilibres écologiques? Irradiation, pollution des eaux, disparition de la
pêche... Le rapport publié le 16 août par I'ONG Brainforest concernant les
impacts de l'exploitation minière sur les populations locales et
l'environnement dans le Haut-Ogooue (est du pays) rappelle aux opérateurs et
aux pouvoirs publics que les erreurs du passé ont de lourdes conséquences,
actuelles, sur l’environnement et la santé.
A Mounana,
la Compagnie des mines d'uranium de Franceville (Comuf), filiale du groupe français
Areva, a exploité des gisements d'uranium pendant près de quarante ans. Alors
qu'elle a cessé ses opérations en 1999, les zones de restriction correspondant
aux différents sites de l'usine démantelée ne sont pas respectées. A Moanda,
conséquence de l'exploitation du manganèse par la Compagnie minière de I'Ogooue
(Comilog), filiale du groupe français Eramet, les eaux de ruissellement sont
chargées de résidus miniers et il n'est plus possible de pêcher sur la jadis
poissonneuse rivière Moulili.
Dans le
contexte de relance des investissements miniers, Brainforest tire la sonnette
d'alarme et fait des recommandations. Elle demande notamment à l'Etat d'imposer
désormais à toute compagnie voulant exploiter de l'uranium sur le territoire de
créer un observatoire de la santé. Début septembre, l’Etat, Areva et le
Collectif des anciens travailleurs et miniers de Comuf-Mounana (Catram) ont
trouvé un accord pour créer l'Observatoire de la santé de Mounana (OSM), qui
étudiera l'impact sanitaire des activités minières de la Comuf sur la santé et
l'hygiène de ses anciens collaborateurs et des populations locales. L'assemblée
générale constitutive de I'OSM se tiendra à Libreville, le 19 octobre, et son
premier conseil d'administration, à Mounana, le 21 octobre.
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