jeudi 5 avril 2018

Notre interview dans le magazine Sans Frontières, magazine de la Solidarité Internationale


LES BIOPLASTIQUES, « UNE FAUSSE SOLUTION » ?

Huit millions de tonnes de déchets plastiques se déversent dans les océans chaque année, portant à 80 % la proportion des déchets marins issus de cette matière, estime le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). Plusieurs pays africains tentent de lutter contre cette pollution en interdisant les omniprésents sacs plastiques. Au Gabon, ils ont été remplacés par des modèles oxodégradables... qui ne font pas non plus l'unanimité.

Par Nelly Guidici,
Sans Frontières, magazine de la Solidarité Internationale, Mars - Mai 2018

ENVIRONNEMENT

En 2005, trois ans avant que le Rwanda ne devienne le premier pays du continent à interdire l'utilisation, la fabrication et l'importation de sacs plastiques, H2O Gabon voyait le jour dans la ville côtière de Port-Gentil. Par ses représentations auprès des maires de Port-Gentil et de Libreville — la capitale —, l'ONG a ensuite joué un rôle central dans la mise en place de la loi interdisant « l'usage et l'importation de sachets plastiques non recyclables » à partir du 1er juillet 2010.
Son président, Henri Michel Auguste, se montre toutefois critique. « Les autorités ne sont pas allées jusqu'au bout de notre raisonnement, déplore-t-il. Nous avions souhaité que notre pays passe aux sacs biodégradables et compostables, et non aux oxodégradables, qui sont une hérésie écologique. »
En effet, le gouvernement a choisi comme substitut « écologique » un type de plastique auquel est ajouté un additif qui attaque sa chaîne moléculaire, et en accélère donc la fragmentation. « Le fractionnement des sacs, de macroparticules à microparticules, est un danger pour notre santé, fait valoir M. Auguste. Avec le vent, ces microparticules deviennent volatiles, et respirer du plastique n'est pas bon pour l'être humain. Dans cette matière que l'on appelle "oxo", il n'y a pas de biodégradabilité. » 


La position d'H2O Gabon rejoint en partie celles d'ONG européennes qui voient les bioplastiques comme « une fausse solution », dont Surfrider Foundation Europe. Pour Diane Beaumenay, chargée de mission déchets aquatiques au sein de cette association de protection et de mise en valeur des lacs, rivières et océans, des informations trompeuses sont diffusées à leur sujet. « Les soi-disant "bioplastiques" contiennent 30 % d'éléments biosourcés et 70 % d'éléments chimiques issus du pétrole, déclare-t-elle.
Résultat : on trompe le consommateur, qui croit être vertueux et ne se doute pas que le sac biodégradable qu'on lui propose va polluer l'environnement. » Selon Mme Beaumenay, il n'y a pas à l'heure actuelle sur le marché de plastiques biosourcés à 100 %, et donc biodégradables.
Parce qu'elle souhaite l'apparition d'alternatives, H2O Gabon appuie les initiatives de fabrication de sacs à partir de fibres naturelles et produites localement. « C'est vrai que nous soutenons les bioplastiques, mais il en existe plusieurs types, nuance ainsi M. Auguste. Nous nous intéressons davantage à ceux issus des fibres de bananes plantains, d'ignames et de manioc, dont le Gabon est producteur et dont les déchets sont peu utilisés pour faire du compost. »

Pendant ce temps, en Europe
L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer a annoncé en janvier dernier que la mer Méditerranée est l'une des plus touchées par la pollution plastique : 730 tonnes de plastique y seraient déversées quotidiennement. Cette donnée était au cœur de l'atelier Polymères et Océans qui s'est tenu à l'Université de Montpellier. Des scientifiques francophones de différents domaines travaillant sur la question de la dégradation des polymères en milieu aquatique y ont exploré des solutions pluridisciplinaires pour faire face à l'invasion de matières plastiques.
De son côté, le Service communautaire d'information sur la recherche et le développement de la Commission européenne (COR­DIS) finance plusieurs initiatives liées au bioplastique, tel le projet Biopack. Ce nouveau concept d'emballage alimentaire a pour but d'étudier la possibilité d'utiliser des bioplastiques afin d'élaborer un emballage de meilleure qualité pour les fromages.
La pétrolière Total s'est également lancée dans le marché du bioplastique en 2016 en s'associant à l'entreprise néerlandaise Corbion dans le but de produire annuellement 75 000 tonnes de polymères à base d'acide polylactique (PLA). Fabriqué à partir de matières premières — le sucre ou l'amidon — le PLA « est l'un des premiers polymères renouvelables et biodégradables », selon ses manufacturiers. Leur unité de production implantée à Rayong, en Thaïlande, devrait démarrer au second semestre de cette année.


TRANSFORMER LA CULTURE DU TOUT JETABLE
Une autre grande préoccupation des ONG est que les matériaux présentés comme des bioplastiques posent les mêmes problèmes que les plastiques conventionnels : de nombreuses années peuvent s'écouler avant leur disparition complète. Comme le milieu aquatique est l'environnement le moins propice à la décomposition des sacs qui se révèlent biodégradables dans des composteurs industriels, les animaux marins disposent de tout le temps nécessaire pour les confondre avec de la nourriture, explique Mme Beaumenay. Sans compter que les microplastiques agissent comme des éponges en absorbant d'autres composants chimiques déjà présents dans l'eau.
« Mais le problème principal du bioplastique est qu'il continue de promouvoir la culture et la société du tout jetable », conclut-elle. Le PNUE estime d'ailleurs que si la production de plastique dans le monde se poursuit à ce rythme, 33 milliards de tonnes seront produites en 2050, contre 300 millions de tonnes en 2014. C'est pourquoi le programme onusien a récemment lancé sa campagne Océans propres. Dans une vidéo humoristique diffusée pour la St-Valentin, le PNUE invite les consommateurs à « rompre leur relation toxique » avec les plastiques à usage unique.
De son côté, H2O Gabon appelle à privilégier les contenants réutilisables. « Nous cherchons surtout à réduire l'usage des sacs plastiques en utilisant le plus possible des sacs réutilisables en tissu ou des paniers en osier, une matière première que l'on trouve dans notre pays. Cela permet aussi de maîtriser un artisanat en disparition », précise M. Auguste.


« Mais le problème principal du bioplastique est qu'il continue de promouvoir la culture et la société du tout jetable »
- Henri Michel Auguste, président de H2O Gabon

SANS FRONTIERES, MARS – MAI 2018




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